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Le Messie annoncé

Le Messie annoncé

Prédication ( Luc 4/14-30 )

 

D’un bout à l’autre de sa vie dans notre monde, Jésus a été surprenant. Sa naissance s’est produite dans des circonstances étranges. Et quand il n’a que douze ans, il étonne les maîtres à penser de son temps. La suite de l’Evangile conduit, elle aussi, de surprise en surprise.

Dans le texte que nous avons lu, Jésus a maintenant la trentaine. Aujourd’hui, le voici à Nazareth, là où il a été élevé. On le connaît bien. Il sait manier le rabot. On connaît sa famille : des gens simples. Il est vrai que, depuis quelque temps, on parle de lui… Ses propos, dit-on, ne sont pas comme ceux des autres. Chacun se plaît à chanter ses louanges. « Enfin, puisqu’il est dans nos murs, répète-t-on alors à Nazareth avec une légitime fierté, nous allons le voir et l’entendre nous-mêmes ». J’imagine que, ce sabbat-là, il y avait foule dans la synagogue de Nazareth. L’espèce humaine a toujours été friande d’extraordinaire !
D’ailleurs, nous-mêmes, quand nous savons qu’un prédicateur particulier va venir prêcher au temple, – par exemple un Président de Région, un théologien renommé ou toute autre sommité protestante -, nous avons souvent l’envie, la curiosité de venir l’écouter… C’est tout de même mieux qu’un prédicateur … ordinaire !

Ce qui est intéressant dans ce début de récit de Luc, c’est qu’il nous permet de vivre un culte israélite à l’époque de Jésus. C’est le jour du sabbat ou, pour le prononcer correctement, le jour du CHABBAT.
Comme de coutume, on se rassemble à la synagogue. Les hommes sont groupés en bas, les femmes occupent peut-être une tribune. On prie ? Peut-être. Luc ne mentionne pas la prière, parce que ce n’est pas le plus important pour le moment. On lit une portion des prophètes, puis quelqu’un improvise une prédication sur le texte du jour.
Jésus se trouve dans l’assemblée. On lui demande de faire la lecture et le commentaire. Il est chez lui à Nazareth, ses parents habitent ce village, c’est là qu’il a passé son enfance et sa jeunesse. Ce n’est peut-être pas la première fois qu’il remplit ce rôle à la synagogue.

Depuis plusieurs siècles, les Juifs ont pris l’habitude de ces rassemblements hebdomadaires. Nous retrouvons là les deux éléments indiqués par Luc : la lecture et la prédication.
Nous ne nous sentons pas perdus dans le déroulement de ce culte. Il ressemble à notre culte. Nous y avons ajouté tout un déroulement liturgique et la Sainte Cène. Mais nous avons toujours les lectures bibliques et la prédication, bases de notre culte protestant.

Mais l’intérêt du récit de Luc se concentre d’abord sur les paroles de Jésus, ensuite sur les réactions des auditeurs. Il est difficile de savoir si on a, déjà en ce temps-là, une liste de lectures pour chaque chabbat, comme il en existe une maintenant. (par ex. j’ai pris aujourd’hui le texte du jour)
Le texte lu par Jésus, qu’il l’ait choisi ou non, se trouve au début du chapitre 6l du prophète Esaïe. Dieu annonce qu’il choisit un homme qui sera son instrument et par lequel il agira dans le monde.
Ou plutôt c’est cet homme-là qui parle et qui annonce ce qu’il va faire de la part de Dieu. Il vient pour guérir, pour libérer les gens de toute servitude, pour créer un monde neuf où le mal sera vaincu.

Jusque là, tout va bien. Les gens qui forment l’assemblée ont sans doute déjà entendu ce texte. Il leur est familier. Ils attendent ce moment où Dieu interviendra pour les sauver.
Ils écoutent Jésus d’autant plus attentivement qu’ils font partie des opprimés. Les Romains les tiennent sous leur botte, ils sont impatients de redevenir libres. Le récit précise que le regard de tous est tendu vers Jésus. Sa renommée commence à se répandre dans la contrée.
Jésus continue. Apres la lecture, la prédication. Il faut bien reconnaître qu’on ne s’attendait pas à ce que Jésus va dire.
Il affirme que ces paroles d’Esaïe se réalisent aujourd’hui même. Aujourd’hui Dieu intervient pour sauver : “Aujourd’hui cette écriture est accomplie pour vous qui l’entendez”. Ce sont ses propres paroles.
Finalement il ne dit pas grand-chose… Mais c’est une bonne nouvelle, le peu qu’il dit : la prophétie d’Esaïe, celle qui annonce la venue du Messie pour annoncer la Bonne nouvelle, pour libérer, guérir, est accomplie aujourd’hui. Ils sont étonnés des paroles de grâce qui sortent de sa bouche, et ils lui rendent témoignage, reconnaissant son autorité, sa compétence.

Mais c’est là que les choses se gâtent. Au début, les gens admirent Jésus !
Or …Jésus les accuse de ne pas croire, de ne pas s’apercevoir que les paroles d’Esaïe se réalisent en lui, bref, de ne pas le prendre au sérieux.
Alors ils ne comprennent pas que Jésus, ce fils du charpentier de Nazareth qu’ils connaissent bien, prétende être ce Messie annoncé par le prophète, celui que Dieu a oint pour accomplir sa volonté. Il est trop connu pour être un libérateur. Ils ne peuvent pas croire que Jésus parle de Lui. C’est trop énorme en quelque sorte, la nouvelle est trop incroyable pour eux.
C’est comme si je vous disais : le 1er ministre, en fait, c’est moi !!! Vous me diriez : il est zinzin celui-là et en plus il se moque de nous !
Alors, ils se mettent en colère, ils sont furieux contre lui.

Et pourtant : la prophétie d’Esaïe se réalise parce que Jésus est là. Jésus reprend à son compte ce message. Il s’affirme comme le personnage envoyé par Dieu et qui agit de sa part. Ce texte d’Esaïe trace le programme de Jésus : Pendant son ministère, Jésus va libérer des hommes. Il va guérir des malades et rendre la vue à des aveugles.
Luc racontera ces scènes de délivrance tout au long de son évangile ; il y insistera même plus que les autres évangélistes. Jésus annonce ce qu’il va faire.

Ne trouvez-vous pas que ces réactions en sens inverse des auditeurs de Jésus sont aussi les nôtres ? N’aurions-nous pas tendance à écouter et croire des amis, voire des inconnus plutôt que nos parents ou nos proches que nous ne connaissons que trop bien ? Ah ! quelqu’un d’autre qui parle avec autorité : voilà qui est intéressant ! (et je ne parle même pas des réseaux dit sociaux, qui font tant de mal)
Nous aussi, nous aimons bien entendre lire la Bible. Nous la lisons peut-être aussi nous-mêmes, nous aimons bien écouter les histoires de l’Ancien et du Nouveau Testament et peut-être en particulier les Evangiles. Il y a dans la Bible tellement de paroles ou de récits qui nous parlent, nous interpellent, nous font réfléchir…
A une condition : c’est que ces histoires, ces récits, ne nous touchent pas de trop près. Les prophètes, la vie de Jésus, sa mort et sa résurrection… tout cela nous intéresse. Mais à condition que cela ne devienne pas trop actuel. A condition que cela reste du passé, loin en arrière de nous. La Bible est belle à distance. Elle devient dérangeante quand elle se fait contemporaine, quand elle nous parle vraiment à nous.

Nous ressemblons terriblement aux gens rassemblés ce jour de chabbat dans la synagogue de Nazareth. Les paroles du prophète sont attrayantes tant qu’elles sont l’écho d’un message du passé. Quand Jésus leur dit qu’elles deviennent actuelles parce qu’il se trouve là, actuelles en lui, alors cela devient plus difficile.
Pour nous, c’est quand nous nous rendons compte que l’Evangile nous interpelle, nous appelle, nous montre combien nous sommes parfois éloignés de ce que Jésus nous demande…

Bien sûr, nous, nous savons que Jésus n’était pas que le fils de Joseph, le charpentier du village. Bien sûr, nous, nous connaissons le véritable début de son histoire, la venue de Dieu parmi nous, et la fin de l’histoire, la croix et la résurrection, qui sont aussi le début de l’Histoire d’un monde nouveau. Mais si nous avions grandi à Nazareth, à côté de Jésus, sans doute que nous n’aurions pas fait mieux que les autres villageois.

C’est l’occasion de nous poser des questions sur la manière dont nous écoutons les paroles qui nous sont adressées.

Car Dieu nous envoie des messagers, et Dieu nous envoie nous aussi comme messagers auprès de nos frères et soeurs en humanité, avec une bonne nouvelle à entendre, des paroles de grâce, une foi à transmettre.
Combien de fois manquons-nous de recevoir les messages qui nous sont envoyés, parce nous ne les reconnaissons pas comme messagers ? Combien de fois n’osons-nous pas prendre la parole pour dire à notre frère, à notre soeur, à des amis proches des paroles de grâce, et de fraternité, parce que nous-mêmes sommes tellement différents de l’image que nous nous faisons… de ce que devrait être un messager de la bonne nouvelle ? Eh oui, nous ne sommes pas des anges !

Peut-être que comme Jésus, nous ne pouvons parler de l’Evangile, de notre foi, de bonnes nouvelles qu’à des « étrangers ». Peut-être que nous ne pouvons en recevoir que d’étrangers. Comme l’a dit Jésus, – et cette phrase est restée célèbre – Nul n’est prophète en son pays !

Voilà d’ailleurs une bonne raison de plus de sortir de nos habitudes pour rencontrer des personnes différentes. Toute personne que nous rencontrons peut être porteuse d’une parole, d’un message pour nous.
Nous pouvons faire de notre mieux… mais nous le savons, justement, notre mieux n’est pas parfait. Alors une chose peut nous rassurer : Jésus n’a pas abandonné les gens de Nazareth, même si ses paroles à leur égard ont été dures, même s’il est parti de là pour sauver sa vie face à leur réaction violente.

Il ne les a pas abandonnés, comme il n’abandonne personne d’entre nous, même si nous peinons à entendre les messages qu’il nous envoie. A la fin de cette histoire de Jésus à Nazareth, il nous est dit : lui, passant au milieu d’eux, alla son chemin. Son chemin, nous le savons, mène ultimement à la croix et au tombeau vide, à la mort et la résurrection, qui sont les prémices du Royaume qui vient. Et ce Royaume est ouvert à chaque être humain, quel que soit le temps que nous mettons à entendre la bonne nouvelle, quelles que soient nos hésitations et tergiversations à la recevoir.

Il n’existe pas d’écoute de l’Evangile sans réflexion, sans interrogation. L’écoute de l’Evangile comporte toujours le risque d’un refus. C’est ce qui est arrivé à Nazareth. Mais elle peut aussi nous entraîner à changer. La Parole de Jésus est toujours appel à l’adhésion, elle nous invite à prendre l’Evangile pour nous, à nous laisser transformer par lui. Croire en Christ, c’est accepter que sa puissance nous pétrisse et nous refaçonne. Et nous le savons, Dieu nous attendra toujours…

Maintenant encore, comme à Nazareth en ce temps-là, nous ne pouvons pas faire autrement que de prendre position en écoutant cette Parole. Il y a ceux qui la refusent. Mais il y a aussi ceux qui la reçoivent, qui la croient et qui en vivent. Parmi ceux-là, Jésus cite la veuve de Sarepta, qui a su accueillir le prophète Elie, et le général syrien Naaman, qui a été guéri de sa lèpre. Jésus-Christ nous invite à les rejoindre dans la même foi.
Et aussi dans la même joie, la joie de ceux qui ont cru que la Parole est pour eux, aujourd’hui et chaque jour.

Amen !

Alain Poujol (30 janvier 2022).