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Aimez vos ennemis !

Aimez vos ennemis !

Prédication Luc 6, 27-38

C’est le texte du jour. La prédication portera essentiellement sur les premiers versets qui résument le discours de Jésus :.

   Mais je vous dis, à vous qui écoutez : « aimez vos ennemis,  faites du bien à ceux qui vous haïssent, bénissez ceux qui vous maudissent,  priez pour ceux qui vous injurient.    

 

Voilà qui est clair, net et sans détours.  La première tentation est de refermer la Bible et de dire :

«  Seigneur, tu me demandes là l‘impossible ! ». Mais essayons tout de même de ne pas y céder…  J’avoue que j’ai hésité à choisir ce texte. Il est à la fois évident, dans le contexte de l’Evangile et impossible à mettre en pratique.

Pour situer le passage, auparavant Jésus est allé sur la montagne pour prier toute la nuit. Le matin, il choisit ses douze disciples et redescend avec eux sur un plateau. Là se trouvent un grand nombre de ses disciples et une grande multitude de gens venus de toute la Judée, de Jérusalem, ainsi que du littoral de Tyr et de Sidon, au Nord,  en territoire non juif (dans le Liban actuel) pour l’entendre et pour être guéris de leurs maladies, nous dit le texte. La réputation de Jésus, qui a accompli des miracles, a dépassé les frontières de la Galilée. Après avoir guéri les malades, il va faire un long discours.

 

Ce discours commence par les fameuses Béatitudes, qui font écho au sermon sur la montagne de Matthieu. Dans Marc, Jésus se trouve plus bas, si j’ose dire, il est redescendu de la montagne, mais la teneur de son discours est la même. « Heureux êtes-vous, vous les pauvres, car le royaume des cieux est à vous ! Heureux  êtes-vous, vous qui avez faim maintenant, car vous serez rassasiés ! » La différence avec Matthieu, ce sont les malheurs prédits ensuite pour les riches, qui figurent à cet endroit-là dans Luc.

Juste après dans Luc, se trouve le passage que nous venons de lire.

 

D’emblée Jésus y va très fort : «  Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, bénissez ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous injurient ou, selon les traductions, ceux qui vous calomnient ou vous menacent ». Autrement dit, faites du bien en actes, en paroles ( bénir) et par vos prières, en paroles et en pensées donc, à ceux qui vous veulent du mal. Inversement si l’on regarde de plus près, on remarque une gradation dans l’hostilité. On passe du sentiment de la haine, simple sentiment, si j’ose dire, à la malédiction et aux diffamations ou menaces.

Il faut apporter cependant quelques précisions :

Le verbe aimer en français pose problème car il est beaucoup moins précis que le verbe grec : « agapate ». Disons-le tout de suite, il ne s’agit pas ici d’aimer au sens d’éprouver un sentiment comme dans l’amitié ou l’amour, il s ‘agit d’aimer, au sens de la Charité, avec un grand C. C’est l’Agapé dont on doit aimer son prochain, comme Dieu nous aime. Le grec ancien distingue, entre autres ( parce qu’ il y en a d’ autres), 3 sortes d’ amour : l’éros ( amour physique, attirance sexuelle), la philia ( sentiment d’ amour et d’ amitié) et l’ agapè  qui désigne l’ amour de Dieu envers l’ homme comme l’ amour de l’ homme envers Dieu et envers son prochain. Donc le sens s’éclaire. Nul n’est maître de ses sentiments, mais nous sommes tous appelés à manifester bonté, bienveillance, générosité, patience,  et respect. Voilà le véritable sens de ce verbe.

Le problème, c’est que Jésus  demande aux disciples et à tous ceux qui l’écoutent ( et donc à nous) d’ aimer les ennemis. Jésus nous demande l’impossible.  Nous sommes là au cœur même de l’Evangile. Cela rejoint la parole : » Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Il n’y a pas de conditions énoncées. Ton prochain, quel qu’il soit.

Jésus sait qu’il  demande l’impossible et pourtant il formule cette injonction. Il connaît la nature humaine et il invite à la dépasser. En réalité, plus qu’une parole culpabilisante, on peut y voir un formidable appel à l’Espérance. Envers et contre tout.  Au fond Jésus ne se décourage pas ; il lance à ceux qui l’écoutent un véritable défi. On mesure tout ce que ces paroles peuvent avoir de révolutionnaire dans une société qui avait pratiqué la loi du talion, « œil pour œil, dent pour dent ».  Après tout, la loi du talion visait la justice. La condamnation était à hauteur du préjudice subi. Ni plus ni moins. Dans ce contexte, le discours de Jésus a dû faire l’effet d’une bombe. Faire du bien aux ennemis, c’est remettre en question l’ordre établi, n’est-ce pas les encourager à poursuivre dans leurs mauvaises actions, et la suite n’est pas moins explicite : «  faites du bien à ceux qui vous haïssent, bénissez ( donc appelez la bénédiction de Dieu ) ceux qui vous maudissent ( ceux qui appellent sur vous la malédiction divine) et priez pour ceux qui vous injurient. » On comprend plus facilement la dernière injonction « priez pour ceux qui vous injurient » ( pour qu’ils changent de comportement, pourquoi pas) mais faire du bien à celui qui nous déteste et nous veut du mal, n’ est-ce pas faire preuve de faiblesse et, ce faisant, s’ exposer à ses critiques, ses railleries, et l’ encourager encore une fois dans son mauvais comportement. Pour prendre des exemples, la victime de torture doit-elle aimer son bourreau ? Du temps de Jésus, les Juifs devaient-ils aimer leurs oppresseurs, les Romains ? Le peuple juif devait-il aimer les nazis ?  Une femme battue doit-elle aimer son compagnon ? De nos jours, faut-il aimer les terroristes ? Les paroles de Jésus tombent dans la provocation et ne peuvent susciter, au premier abord, que l’incompréhension.

Mais, en réalité, ce n’est pas ce que demande Jésus. Ce qu’il demande, c’ est de voir, derrière la faute, l’être humain malgré tout, enfant de Dieu, et à ce titre, encore digne d’ amour. Dans le passage de l’Ancien Testament qu’Anne-Chantal nous a lu, David renonce à tuer Saül ( et ce n’est pas la première fois) parce que Saül a reçu l’ onction du Seigneur. David lui reconnaît donc un caractère sacré, bien que Saül ait cherché à le tuer.  Il n’a pas appliqué la loi du talion.  Rappelons-nous également les paroles de Jésus sur la croix : « Père, pardonne-leur car ils ne savent ce qu’ils font ».  Oui, mais c’était Jésus. Qui d’autre pourrait atteindre un tel niveau de pardon, au plus fort de ses souffrances physiques ?

Pour en revenir au texte de la méditation, on peut remarquer que Luc ne mentionne aucune réaction de l’auditoire. J’imagine que certains ont dû être complètement surpris. Et le mot est faible. Il y en a peut-être qui sont partis.  D’autres sont restés, voulant en savoir davantage, espérant eux aussi être guéris. Mais, au fond, la guérison n’est peut-être pas là où ils l’espéraient. Jésus, dans son discours, montre une manière de guérir, non pas physique, ni morale mais spirituelle. Il nous ouvre le chemin de l’ Amour, par-delà tous les obstacles et tous nos refus, conscients ou inconscients. C’est un chemin qui passe au-dessus des jugements, au-dessus de la morale.  Pour poursuivre la métaphore du chemin, je voudrais faire appel à la géographie. Pour ceux qui connaissent la région de Nice, il y a trois corniches qui mènent de Nice à Menton à la frontière italienne.  Certes elles sont toutes les  trois très belles. On peut prendre la corniche du bas qui traverse des villages magnifiques mais l’inconvénient, c’est que la vue sur la mer est souvent obstruée par de hauts immeubles, notamment dans la principauté de  Monaco. Puis il y a la corniche au-dessus où la vue est plus dégagée ( ce serait la voie de la morale ; on s’ élève pour mieux discerner ) et enfin la corniche supérieure d’ où l’ on a la vue la plus large, celle qui porte le plus loin. Ce serait le chemin de l’ Amour qui passe au-dessus de celui du jugement et de la morale. Jésus nous invite à emprunter ce chemin, même s’il est le plus difficile.

Devant cette exigence, que dire, sinon nous taire et reconnaître notre incapacité ? Mais reconnaître notre incapacité, c’est déjà nous engager sur ce chemin car c’est renoncer à notre désir de nous justifier. C’est renoncer à dire : «  Oui mais… » C’est inviter le Seigneur à venir à notre aide. L’une des plus belles paroles de l’Evangile, c’est celle du père de l’enfant possédé d’un esprit impur, dans Marc, au chapitre 9. Il dit à Jésus : «  Je crois ! Viens au secours de mon incrédulité ! » Il n’y a là qu’une contradiction apparente. A partir du moment où on appelle au secours, on commence à croire la guérison possible. ( Et Jésus va guérir cet enfant). De la même façon, nous pourrions dire : « Viens au secours de mon manque d’amour ! »

Jésus appelle ses disciples et son auditoire à un changement radical : cela va plus loin que la non-violence, qui est déjà très difficile en soi car la tentation de la vengeance est plus forte que tout. Oui, cela va plus loin que la non-violence, car c’est répondre activement à la haine par l’amour. « Si quelqu’ un te frappe sur une joue, présente-lui aussi l’autre. Si quelqu’un te prend ton vêtement, ne l’empêche pas de prendre aussi ta tunique ». Autrement dit, ne te contente pas de ne rien faire en réponse à la violence, mais fais comprendre à ton agresseur, par ton attitude, qu’il existe une autre voie, à tes risques et périls. Et si tu prends ces risques, c’est que tu considères ton agresseur non pas comme une brute épaisse, mais comme un être humain capable de changer son regard sur toi et plus encore sur lui-même.

Eh bien, que Jésus nous guide sur ce chemin de l’amour. Nous serons ainsi magnanimes, à l’image du Père, comme dit Jésus : « Soyez magnanimes, ( ou miséricordieux, dans une autre traduction,)  comme votre Père est magnanime. ».

Jésus renverse l’image du Dieu qui punit, il présente un Dieu plein de bonté et de compassion, toujours prêt à pardonner.  Nous sommes appelés à  ressembler à ce Dieu-là dont nous sommes les enfants. C’est là notre vocation de chrétien. Laissons-nous prendre comme un enfant par la main. Dans l’humilité et la confiance. Et le Seigneur se chargera du reste.

Je voudrais terminer par le début de la prière dite de saint François d’ Assise, si justement célèbre :

Seigneur, fais de moi un instrument de ta paix

Là où il y a la haine, que je mette l’ amour.

Là où il y a l’ offense, que je mette le pardon

Là où il y a la discorde, que je mette l’ union.

 

Amen.

Yves Madiba